CREATION ET PSYCHANALYSE

Nous voyons trois fonctions à l’œuvre créatrice, qui sont différentes au regard de la structure psychique de la personne : névrotique, psychotique, ou border line.

 

NEVROSE

Il est intéressant d’interroger les liens entre transfert et création. Ainsi en va-t-il de la découverte des araignées de Louise Bourgeois par exemple. Ainsi, le processus de création révèle le mouvement entre l’infans et l’adulte noués par le fantasme, dont l’œuvre va témoigner dans la névrose. « La sublimation rend psychologiquement compte du passage de la pulsion [...] à la civilisation, à ses activités, à ses produits», exprimait le psychanalyste Sigmund Freud.  Les artistes constituent ainsi un des plus forts exemples de sublimation; « l’artiste ou “le créateur de fiction” apparaît comme celui qui porte la sublimation à son maximum d’efficacité » ajoute Freud. Et l’œuvre artistique, passant du particulier à l’universel, questionne celui qui la découvre. En effet, ce qui différencie l'artiste de celui qui ne l'est pas, c'est précisément la capacité de l'oeuvre d'art d'éveiller chez le spectateur le désir qui se trouve exprimé. L’artiste sort par là même de l'espace "narcissique" du fantasme et rejoint le monde. La création artistique permettrait ainsi la "levée du refoulement" portant sur les pulsions censurées, et l'ouverture d'un espace d'expression. C'est toute l'idée de "l'art-thérapie".


ETAT LIMITE

Mais l’œuvre est aussi un travail de traces, dans sa confrontation à ce qui, en soi, résiste au travail de mémoire et tend à s'effacer, c'est un travail d'exhumation de ce qui a été oublié, nié, ou forclos.  La création implique en cela le souci de l'accueil   de la rencontre surprenante, inattendue. L’objet de l'angoisse est, par définition, sans visage. L'objet de l'angoisse, c'est ce qui ne ressemble à rien d'autre et qui peut surgir de nulle part. En projetant l'angoisse dans une œuvre, dans un élan pulsionnel libéré, je pose une forme sur cet objet, et par là-même je le prive de sa dimension la plus angoissante. Le processus créateur implique la capacité de réélaborer et de combiner autrement des éléments de la réalité emmagasinés dans la mémoire.

Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle avait un nom prédisposé, et l'inceste n'est pas une prérogative des pauvres. Celui que son père, un banquier de 35 ans, lui fera subir à onze ans et son éducation catholique auront raison de la sienne. Niki de St Phalle  réglera son compte à la brutalité machiste et à la complicité de sa mère. Elle peindra la violence en broyant les objets du quotidien et en les intégrant à ses tableaux, leur tirant dessus à la carabine, faisant exploser les couleurs. "L'image d'art est une mémoire virtuelle de ce qui fait symptôme pour un sujet". (Lacan) . C’est à la suite d'une dépression nerveuse en 1953 à Nice, que Niki de St Phalle réalise que l’art l'aide à surmonter ses angoisses et la guérit. À l'hôpital, elle fait un travail à base de collages d'images violentes avec toutes sortes de couteaux et instruments de boucherie : "L'agressivité qui était en moi commençait à sortir. Je me mis à faire passer la violence dans mon œuvre.(…) Quelle thérapie ce fut pour moi !  L'encre coule, comme une blessure, l’œuvre est la victime envisagée»(Lettre à Jean T, 1990). Elle écrira plus tard qu'elle était devenue artiste car elle n'avait "plus le choix». Dans ses dernières œuvres, l’agressivité de ses débuts a totalement disparue et les grandes Nanas aussi. Niki ne se représente alors que des objets fantastiques, issus de son imagination et de ses rêves, témoignant par là même de la fonction thérapeutique de son activité créatrice.


PSYCHOSE

Révolte, fureur créatrice et destruction? Le poignant destin de Camille Claudel n’a pas fini de fasciner. Sa vie interroge encore les liens entre psychose et fécondité artistique. Car le psychotique met en place son délire là où il y avait un trou ;

Et la création peut à certaines conditions faire suppléance. Si on considère que le psychotique délirant est un sujet in-su de lui-même, son œuvre le fait savoir à d’autres comme Sujet et lui donne place.

Le processus qui permet au sujet de ne pas basculer du côté du hors sens et implique la création serait fondamentalement une pulsion de mise en forme,  une mise en forme en deçà du verbal. Une trouvaille du sujet qui   trouverait à exister et à réinventer du lien social là où la folie fait rupture. La création nécessitant une invention ex nihilo et une authentification au champ de l’Autre et susceptible de faire suppléance chez le psychotique, là où elle fait sublimation et renarcissisation chez le névrosé. Ici, pas d'art-thérapie : il ne s’agit pas d’analyser, ni d'interpréter des œuvres. Ici, c'est la liberté des artistes qui prime .